Neolamprologus stappersii (Pellegrin) 1927
En 1991, H.Büscher décrivait Lamprologus meleagris,
un conchylicole pêché aux environs de Bwassa, à 65 km au sud de Moba sur la
côte congolaise (ex-Zaïre) du lac Tanganyika. Sept ans plus tard, il pêchait
le même poisson dans l'embouchure de la rivière Lukuga, à Kalemie, soit plus
de 300 kilomètres au nord de la localité type. Or dans cette vaste aire de collecte
se situe Mpala, lieu où avait été pêché l'holotype qui servit à la description
de Lamprologus stappersii en 1927 par Pellegrin…. Konings et Büscher
précisent que ces deux poissons sont très proches d'un point de vue morphologique,
mais aussi d'un point de vue comportemental : par exemple, ils se rencontrent
tous les deux sur les fonds vaseux près des embouchures de rivière. Si l'on
ajoute à ceci le fait que Lamprologus stappersii a été assez mal décrit
en 1927, il semble évident que meleagris n'est que le synonyme d'un poisson
décrit quelque soixante ans plus tôt ! Aussi, eut égard au principe d'antériorité,
il faudrait maintenant appeler stappersii tous les meleagris que
nous maintenons dans nos bacs ! Il s'agit d'un poisson appartenant au groupe
des <<Lamprologus>> ocellatus, et ses autres proches
cousins sont <<L.>> speciosus et <<L.>>
wauthioni (si tant est que ces dernières espèces soient bien différentes,
toujours le même problème ! ).
Enfin, le stappersii appartenant au groupe des
lamprologues "ossifiés", il sera probablement placé dans un nouveau genre. En
attendant, pour simplifier les choses, il sera ici traité comme Neolamprologus
plutôt que <<Lamprologus>>.
Dans la nature…
Neolamprologus stappersii (donc !) est un Cichlidé conchylicole qui vit sur des fonds vaseux où les coquilles sont assez éparpillées, c'est-à-dire avec une densité moyenne d'une à cinq coquilles de Neothauma tanganyicense par m². Les mâles constituent donc des harems de deux à cinq femelles. Ils enterrent les coquilles vides présentes sur leur territoire, limitant ainsi leur utilisation aux seules femelles ; et empêchant par-là même une rivalité avec d'autres mâles ou même avec d'autres espèces. Ainsi une femelle désirant s'installer dans le territoire du mâle doit d'abord le persuader de lui découvrir une coquille enterrée ! Plusieurs femelles peuvent s'installer sur le territoire d'un même mâle, mais comme elles sont parfois agressives entre elles, leurs coquilles respectives doivent être assez distantes, un écart d'environ 80 cm à un mètre. Faute de quoi, des coquilles trop rapprochées provoqueront des agressions et une moindre efficacité dans la protection des alevins. Et des femelles occupant des coquilles trop éloignées risquent d'être perdues au profit d'un rival… Bref, rien n'est simple et on comprend mieux pourquoi ces poissons mettent tant de cœur à s'occuper de leur "maison".
…et dans l'aquarium.
1995. Vichy. Congrès AFC. J'investis dans six poissons
d'environ trois centimètres. Et là, première surprise : j'ai acheté des poissons…
morts ! A peine emballés, ils ont perdu toute couleur et roulent au fond du
sac, opercules ouverts. Je me rappelle alors les paroles du vendeur : <<attention,
ces poissons font " le mort " admirablement >>. C'est vrai. Cinq minutes
plus tard, ils nagent de nouveau et ont retrouvé leurs couleurs ! Alors, bluffé
ou stressé, le stappersii est un acteur. Après deux heures de trajet, arrivés
à bon port, ils sont placés dans un bac de 240 litres (120x40x50) en compagnie
de Julidochromis ornatus également achetés à Vichy.
Nourris de " mélange maison ", de nauplies d'artémias et de granulés, ils grandissent
vite et deviennent splendides. Contrairement à la majorité des conchylicoles,
ce poisson n'arbore pas les traditionnelles couleurs mimétiques beige et rose.
En effet, si la forme est typique du groupe ocellatus, les joues et la gorge
sont jaunes avec des reflets verts. Le dessus de la tête est noir, de la lèvre
supérieure au haut du crâne. L'opercule possède une tache noire. Le corps est
jaune clair et scintille de points lumineux blanc nacré. Suivant l'orientation
du poisson, ces points apparaissent violets ! Les nageoires présentent également
cette coloration. L'anale possède en plus un liseré orangé et la dorsale est
bordée d'un liseré blanc et noir. Suivant l'humeur du poisson, des barres verticales
noires peuvent apparaître, comme lors de comportements de domination et de reproduction.
Dans ce dernier cas, la robe est encore plus contrastée. Bref, il est magnifique.
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Hors période de reproduction, où la femelle arbore
une bande noire qui va de l'opercule à la caudale, le dimorphisme sexuel se
limite à la différence de taille : six centimètres pour les mâles contre cinq
centimètres pour les femelles.
L'aquarium est garni de coquilles d'escargot de bourgogne, d'amas de pierres
sur le côté droit et au fond du bac. Des pieds de Vallisneria sp, d'Anubias
nana et Hygrophila stricta ainsi qu'une touffe de mousse de Java
apportent une touche de verdure. Le bac est filtré par décantation avec une
pompe de 300l/h. La température est de 26 °C. Le pH est aux environs de 7-5,8.
Ce bac se situe dans un lycée en Creuse : l'eau y est relativement douce : pH
et conductivité sont ajustés à l'aide de sels "Tanganyika".
Alors que les J. ornatus pondent depuis déjà quelques temps, la première ponte
de N. stappersii survient en janvier 96. Elle est repérée d'une part
par la coloration typique de la femelle, mais aussi parce que celle-ci est alors
"scotché " à sa coquille, contrairement au reste du temps où elle ne dédaigne
pas s'en éloigner un peu.. De plus, sans être agressifs, les poissons savent
alors se faire respecter (une main qui passe trop près de la coquille sera attaquée
! ). Stappersii a du caractère…
Pour la fécondation, le mâle reste à l'extérieur
de la coquille. Les œufs sont visibles par l'entrée de la coquille. D'un diamètre
d'environ 1mm, ils sont ovales, de couleur jaune pâle (probablement variable
en fonction de l'alimentation). Les pontes n'ont jamais excédé 23 oeufs visibles
par transparence. Néanmoins, H.J Herrmann mentionne jusqu'à 73 alevins dans
le Cichlid Yearbook n°5. L'éclosion a lieu après 72 heures à 26 °C. Ensuite,
il n'est pas rare de voir quelques alevins transparents frétiller à l'entrée
de la coquille. Comme pour beaucoup d'autres espèces, ces derniers adhèrent
au décor par la tête grâce à leurs glandes céphaliques. Ce n'est qu'après une
semaine que les alevins résorbent leur vésicule vitelline et commencent à se
nourrir de nauplies d'artémias. A ce moment, les alevins mesurent 4-5 mm et
sont rayés verticalement de noir. La femelle assure seule la garde et l'élevage
des alevins ; le mâle s'occupant quant à lui… d'autres femelles !… Comme dans
le lac, l'espèce est ici polygame.
Mais revenons à notre femelle. En présence d'alevins, il est fréquent de la
voir se plaquer ventre au sol puis avancer en fouettant de la queue, repoussant
le sable avec sa bouche. Ceci semble avoir deux effets : tout d'abord la femelle
creuse ainsi une tranchée autour de sa coquille, mais surtout cette opération
projette une multitude de particules vers l'entrée de la coquille où les alevins,
qui semblent n'attendre que ça, s'en emparent avec avidité. Il est possible
que dans la nature, où la nourriture est peu abondante, la femelle nourrisse
ainsi ses jeunes… Quoi qu'il en soit, ceci prouve une fois de plus qu'il est
indispensable de fournir du sable fin à nos conchylicoles… Monique Dandeloeuf
a constaté qu'il est possible de voir un couple élevant plusieurs portées à
la fois dans un bac spécifique de 50 litres (alors que dans les mêmes conditions,
un couple d'ocellatus n'élève toujours qu'une seule ponte). Toutefois,
ceci n'a jamais été le cas dans le bac observé. En effets, les pontes s'y sont
succédées tous les 10 jours ; et lorsque les alevins d'une ponte atteignent
la nage libre, ceux de la précédente étaient chassés de la coquille. Leur espérance
de vie devenant alors très courte… surtout en présence de J. ornatus
défendant leur propre progéniture !
Pour sauver quelques jeunes, il a donc fallu trouver une solution pour les récupérer.
Ainsi, 9 jours après la ponte (soit, un jour avant la nage libre, et juste avant
la couvée suivante), la coquille contenant les jeunes est déplacée (avec la
femelle à l'intérieur !) à une dizaine de centimètres de son lieu d'origine….
Où une coquille vide a soigneusement été placée dans la même position. Une fois
sorti le bout du museau, la femelle ne comprend pas où elle se trouve, et après
quelques secondes d'hésitation, elle fonce dans la coquille vide situé au "bon
emplacement". Le tour est joué, il ne reste plus qu'à récupérer celle contenant
les alevins et à la placer dans un bac d'élevage, avec une eau de qualité similaire.
On constate alors qu'il y a toujours quelques alevins mal formés (en moyenne
4 ou 5 par ponte) qui ne survivent pas dès lors qu'ils ont résorbé leur sac
vitellin. Pour éviter ces problèmes, il faudrait limiter au maximum la consanguinité
(mes poissons étant frères et sœurs, et leurs parents aussi ), ce qui est facilité
chez ce poisson par l'absence de variété géographique. Un N. stappersii
acheté chez X sera le même que celui acheté chez Y. Finis, l'inceste et les
bourses-aux-poissons polluées par des monstres (au sens biologique du terme,
et je parle des poissons !).
Bref, retour à nos alevins qui, gavés de nauplies puis de chair de moule et
de "mélange maison", grandissent assez vite pour des Neolamprologus conchylicoles
: un centimètre par mois jusqu'à trois centimètres. Ensuite, la croissance est
plus lente. A environ six mois, les poissons commencent à vouloir se reproduire.
Il est temps d'initier votre entourage à la " stappersimania " !
Une dernière petite mise en garde : si un jour il vous manque des stappersii
dans votre bac, scrutez la surface du sable et guettez les yeux qui dépassent
: ils adorent s'ensabler… stappersii est un fourbe !
Ainsi, avec Neolamprologus stappersii, maintenir des conchylicoles n'est plus simplement passionnant, c'est également esthétique ; et ceci dans un bac spécifique aussi bien que dans un grand bac communautaire du lac Tanganyika, car notre ami sait se défendre quand il le faut. Alors, acteur, magnifique, avec du caractère, un peu fourbe… il a tout pour devenir une star !
Bibliographie :
Cichlid Yearbook n°5. HJ Hermann
Les Cichlidés du Tanganyika dans leur milieu naturel. Ad Konings
Le guide des Cichlidés. AFC collectif
Remerciements :
à Corinne, Eric, Philippe et Monique...